La fragilité du coaching


La fragilité active ou l’anti-fragilité éthique

Il y a des pavés littéraires qui s’affrontent comme une randonnée en montagne. Pas toujours facile mais avec des haltes magnifiques et un point de vue à la hauteur de l’effort fourni.

C’est la cas de la lecture du livre de Nassim Nicholas Taleb, star de la pensée économique décalée grâce à sa mise en évidence d’une notion qui a fait flores avec la crise financière de 2007 : celle du Cygne Noir c’est-à-dire les crises qui arrivent sans faire l’objet de prévisions de la part des spécialistes du sujet (en l’espèce la crise financière de 2008).
Je ne vais pas vous infliger un résumé des 650 pages en petits caractères d’Antifragile (vous pourrez demander à votre ami ChatGPT) mais il contient un certain nombre d’éléments très inspirants qui peuvent radicalement changer votre vision du monde et la façon dont vous l’appréhendez dans votre quotidien.

Monsieur Taleb ne porte pas dans son cœur ceux qu’ils appellent des  professionnels Antifragiles et non éthiques c’est à dire ceux dont les actions qui découlent de leurs propos ne les mettent jamais en risque. Un peu comme ce vieil adage qui dit que « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Pour lui, les intellectuels exerçant dans de nombreux domaines (les professeurs, les économistes, les éditorialistes, les instituts de sondage…) continuent à prospérer et à être écoutés même si leurs prises de position sont biaisées, fausses voire dangereuses.
Nassim Nicholas Taleb cite de nombreux exemples d’économistes (sa bête noire) dont l’influence est inversement proportionnelle à la pertinence de leurs propos. Leur diplôme, leur réseau, le nombre de leurs publications ou le type de postes occupés semblent les protéger de toute critique et remise en cause.
En ce sens ils sont Antifragiles (rien ne peut leur arriver) et non éthiques (ils ne sont pas impactés par les conséquences de leurs convictions ou prises de position). Il les oppose aux :
– Fragiles dont les décisions peuvent avoir des conséquences dramatiques pour eux-mêmes (les entrepreneurs notamment) et
– aux vrais Antifragiles qui ont l’intelligence et la souplesse de tirer parti d’un Cygne Noir

En tant que coach et formateur cette critique de ceux qui « disent » sans être solidaires des conséquences de leur parole est, par certains aspects, inopérante. Car le succès dépend autant de la qualité de la mise en œuvre opérationnelle que des décisions qui l’ont précédées.

Cependant la position de Nassim Nicholas Taleb est utile car elle nous permet de réfléchir à mon rôle.
Tout d’abord – comme l’écrit brillamment  Michael Bungay Stanier dans Le guide de l’anti-manager – Pourquoi les meilleures coachs ne donnent pas de conseils – en gardant bien en laisse notre « monstre de conseils ». Ce dernier nous incite à donner NOS solutions et NOS réponses sans prendre le temps de l’écoute et sans laisser à l’autre la possibilité d’inventer celles qui lui sont propres.
Ensuite en ayant l’humilité de se regarder faire et agir. Est-ce que je mets moi-même ce que je prône et enseigne ? Est-ce que j’expérimente des difficultés et ces dernières doivent elles m’amener à repenser mon accompagnement ?
Enfin, et c’est l’interrogation qui me taraude le plus : qu’est ce qui dans mon parcours et dans mes résultats me permet d’être légitime dans mes prises de parole et dans mes convictions ? J’ai le sentiment diffus qu’une grande part de la littérature managériale peut se lire comme une suite de « Y a qu’à faut qu’on » dans lequel l’auteur précise très rarement en quoi il est légitime à tenir ses propos. Plus agaçant encore est la « position haute » que certains assument sans recul. Oui tout le monde peut mettre sur le papier les fondamentaux d’une réunion réussie, les qualités d’un leader incontestable ou la nécessité d’une entreprise bienveillante permettant à chacun de réaliser son meilleur potentiel et son plein épanouissement. C’est d’autant plus facile que ceux qui ont le temps d’écrire sont souvent « à coté » de l’organisation qu’ils décrivent. Soit parce qu’ils n’ont jamais eu envie de l’affronter (position presque idéologique) soit qu’ils en sont sortis dans des conditions parfois difficiles (position de revanche).

Sans vouloir réduire l’apport d’Antifragile aux éléments évoqués ci-dessus (car beaucoup d’autres sont vraiment inspirants) je dirais pour résumer que Nassim Nicholas Taleb nous invite :
– soit à affronter le monde en position fragile c’est à dire avec nos doutes, nos imperfections et nos erreurs qui sont une richesse que l’on peut partager avec d’autres en les accompagnant pour trouver leurs propres solutions
– soit à travailler notre Antifragilité éthique, c’est à dire en assumant et en mettant en œuvre nos capacités à inventer un espace où nous sommes co-responsables des actions que génèrent nos propos.

 

Nassim Nicholas Taleb – Antifragile – les Bienfaits du Désordre – Les belles lettres – 2020
Michael Bungay Stanier – 
Le guide de l’anti-manager – Pourquoi les meilleures coachs ne donnent pas de conseils – Diateino- 2022

Le bug humain


 LE BUG HUMAIN

Quand j’accompagne des équipes mais plus encore les individus, la question de la prise de hauteur et de distance est souvent centrale. Il faut, à un moment ou à un autre, savoir s’extraire du quotidien pour être en mesure de prendre les bonnes décisions. Et pour se projeter dans l’avenir. Malheureusement, c’est loin d’être évident. Alors je me pose souvent cette question : pourquoi sommes-nous si accro à l’instantanéité ?
Les neurosciences nous donnent de précieuses clés de compréhension.
Sébastien Bohler dans son génial ouvrage Le Bug humain met en évidence notre soumission au striatum, sorte de dictateur préhistorique localisé au cœur de notre cerveau. Ce dernier a cinq obsessions qui guident son action : se nourrir, se reproduire, se comparer socialement, s’informer et en faire le moins possible. Et il a un truc imparable : quand une action correspond à une de ses cinq préoccupations, hop ! Il déclenche une bonne décharge de dopamine. Inutile de préciser que nous sommes totalement accroc à ces « bouffées d’euphorie ». Il cite une expérience sur des rats de laboratoire qui peuvent actionner cette décharge de dopamine en appuyant sur une pédale. Quand ils comprennent le truc, ils appuient dessus jusqu’à deux cents fois par heure et ils en oublient même de manger et de boire tant le plaisir procuré est incomparable.
Intéressant aussi à savoir : la force de la décharge est d’autant plus grande que le délai entre désir et réalisation est court.
Notre striatum est donc plongé dans le présent ou, accordons lui cela, le futur immédiat. Il préférera toujours une action satisfaisante aujourd’hui à une perspective plus alléchante demain. Le temps court c’est son domaine ; le temps long ne l’intéresse pas. Une sorte d’enfant hyper capricieux qui nous a tout de même permis, ainsi qu’aux mammifères qui nous entourent, d’être de formidables machines à survivre individuellement et collectivement.
Pour le striatum, l’attente est perçue comme une souffrance que la perspective d’une récompense trop lointaine ne parvient pas à apaiser. C’est le nœud du problème et l’explication de notre découragement face à la lenteur et au futur.
Pour retrouver du plaisir à s’inscrire dans des temps plus longs, il faut urgemment nous désintoxiquer de ce qu’Elena Pasquinelli nomme joliment les « gâteaux pour le cerveau » autrement dit les décharges de dopamine.

Alors, prêts pour le sevrage ?

 

  • Sébastien Bohler, Le Bug humain, Pocket, 2020
  • Elena Pasquinelli, Mon cerveau, ce héros – mythes et réalité,2015

 

Quand un hamster tourne sans fin dans ma tête


Mon hamster « Pensouillard »

On sait d’expérience et, cela est confirmé par l’abondante littérature sur le sujet, que la confiance est fragile. Que ce soit la confiance en soi, dans les autres ou dans les organisations, la confiance met longtemps à se construire et se perd très rapidement. Réorganisation interne, plan social, changement de manager, nouvelle priorité stratégique, concurrence de nouveaux acteurs du numérique dont on n’avait pas forcément anticipé la puissance de feu… Toutes ces raisons, et bien d’autres, se combinent entre elles pour créer un contexte de stress régulier si ce n’est permanent. Certains dirigeants pensent même que le changement est bon « en lui-même » dans le sens où il challenge les habitudes, permet à l’organisation de respirer et aux meilleurs de se révéler.
Ce mouvement déstabilise particulièrement ceux qui n’avaient pas spécialement démérité mais qui, par un jeu complexe de chaises musicales et de luttes d’influence, se retrouvent à la mauvaise place au mauvais moment.
Et la machine à perdre s’enclenche : période de doute, sentiment d’injustice, colère, culpabilité, ressentiment, tendance à ressasser les mêmes histoires… La machine à laver est en route, position essorage 1200 tours minutes.
Serge Marquis, psychiatre, utilise la métaphore de Pensouillard, le hamster, qui court dans notre cerveau comme s’il était dans sa roue. Il produit alors des pensées aussi négatives qu’inutiles.
L’ensemble de ce processus finit par créer un sentiment de défaitisme. Très clairement, la petite flamme n’est plus là et une pensée finit par dominer les autres « Je suis nul. Je n’y arriverai jamais ».
Alors comment sortir de ce cycle de pensées dévalorisantes ?
Richard Moss, médecin américain, a très bien mis en évidence que la première chose à faire est d’abord d’accepter ce type de pensées. Pourquoi ? Parce qu’elles sont naturelles. Il explique qu’environ 80 % de nos pensées sont aspirées par l’un des quatre cadres de référence suivants :
le jugement sur soi (“Je suis nul, ça devait m’arriver”…)
Le jugement sur l’autre (“Ce sont tous des salauds qui voulaient ma peau”…)
Le passé (“Si je n’avais pas fait cela, je n’en serais pas là”…)
Le futur (« Ça ne marchera pas de toute façon”…)
Pas de panique donc. Regardons ces pensées se déployer et apprenons à faire la paix avec elles.
Serge Marquis, cité ci-desssus, propose de nombreuses solutions pour y arriver. Comme de se concentrer sur des faits concrets ou de s’assurer que notre respiration est bien toujours sous contrôle. Et puis surtout de faire la paix avec Pensouillard notre hamster afin de l’aider à ralentir sa roue infernale. Et, bien sûr de nombreux livres et stage sont dédiés à ce sujet (voir rubrique pour aller plus loin).

 

  • Serge Marquis, On est foutu on pense trop – comment se libérer des pensées qui polluent notre quotidien, Flammarion, 2022.
  • Sylvie Chokron, Une journée dans le cerveau d’Anna – Notre quotidien décrypté par les neurosciences, Eyrolles, 2020.
  • Richard Moss, Le mandala de l’être, Sagesses, 2017

Elargir sa zone de confort


Elargir sa zone de confort

Perso, j’en ai un peu ma claque de cet impératif qui nous présente notre zone de confort comme devant être en permanence remise en cause. Il faut en « sortir » au risque de devenir un poids mort, un fainéant bref un looser.

Je pense quant à moi qu’il est possible d’affirmer que vivre dans une certaine forme de confort peut être positif et qu’il n’est pas nécessaire de vouloir systématiquement la détruire.
Au passage, nous pouvons d’ailleurs nous interroger sur les raisons qui assimilent systématiquement la zone de confort à quelque chose de négatif. N’est-elle vraiment qu’un périmètre d’habitudes, d’ennui et de monotonie ?
La conviction qui sous-tend cette approche est que, si rien d’extérieur n’arrive, l’individu va rester dans une sorte de pilotage automatique toxique. Il est alors assimilé à la grenouille qui risque à tout moment de mourir ébouillantée si, par malchance, un environnement moins favorable entraîne une montée progressive de la température de l’eau. La zone de confort est, de manière plus ou moins explicite, considérée à la fois comme potentiellement dangereuse et comme le refuge des réfractaires au changement. Un bunker à loosers en quelque sorte. En sortir demande des efforts, des remises en cause et génère naturellement son lot d’interrogations, d’angoisses et de stress. Le changement n’est pas naturel et se fait dans la souffrance puisqu’il arrache l’individu au doux cocon de son train-train quotidien.
Il faut alors le rassurer en lui parlant son langage : « Tu t’inquiètes à tort car finalement tu verras, tu finiras par adorer ton nouvel environnement ».
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, si on me parle ainsi, je flippe. Rien de plus anxiogène que d’être réassuré de la sorte, non ?
Alors, les professionnels du sujet ont trouvé la solution : ils débaptisent B qui n’est plus une « zone d’inconfort » (par opposition à A) et lui donnent des noms plus doux à nos oreilles comme zone de grandeur, zone de croissance voire “ zone où la magie opère”.
Il n’échappera à personne que les porteurs de ce discours sont ceux qui en tirent le plus de bénéfices. J’ai nommé bien sûr certains managers, membres de comités de direction et consultants internes ou externes. Sans leur engagement sans faille et leur leadership exceptionnel, c’est sûr, rien de nouveau et de positif ne saurait voir le jour.
Finalement, cela dit beaucoup de la représentation qu’ont les entreprises verticales de leurs salariés : une sorte de poids mort réfractaire au changement et toujours en retard d’une révolution organisationnelle. Il faut sans cesse les informer, les rassurer, les prendre par la main et ne pas hésiter, si nécessaire, à les menacer pour qu’enfin ils se mettent en mouvement !
Cette posture infantilisante évite en tout cas aux décideurs de se demander si les doutes ressentis par les personnes directement concernées ne sont pas légitimes et s’il n’aurait pas fallu les associer, en amont, plus étroitement aux décisions. Une perte de temps heureusement évitée puisque, de toute façon ils n’ont qu’une obsession : protéger leur zone de confort.

Ce que je veux dire ici c’est que cette approche ne favorise pas l’initiative, ni la prise de risque, car elle crée une culture où chacun est assigné à un rôle prédéfini, stéréotypé et, disons-le, médiocre.
Imbibés par cette culture qui, avant d’être celle de la plupart des organisations, irriguait peut-être aussi la structure familiale et le système éducatif, notre Tarzan doit, pour réussir, se détacher de cette double représentation : celle d’un être faible qui n’aspire qu’au confort et celle du héros courageux qui va affronter tous les périls pour se réinventer.

Et puis il doit aussi se réconcilier, et c’est notre deuxième point, avec sa zone de confort qui n’est aucunement un frein au changement mais qui, bien au contraire, peut en être une condition de succès. En effet de très nombreux travaux ont montré que ce périmètre que l’on maîtrise est essentiel pour explorer l’avenir. Les travaux de Boris Cyrulnik en particulier sont très éclairants à ce propos. Ils valorisent une notion connue sous le nom de “secure base”, une base de sécurité qui, en offrant des repères stables et en donnant confiance, va permettre d’explorer d’autres territoires. Elle est donc essentielle et, au lieu de freiner le changement va, bien au contraire, le rendre possible.

En vous appuyant sur vos points forts, vos succès et la maîtrise de votre environnement vous allez vous donner toutes les chances de succès.
Il vous faut maintenant adopter l’état d’esprit qui découle de cette double prise de conscience (ma zone de confort est un atout et il n’y aucune raison que je n’aime pas le changement) : aborder votre évolution non comme une rupture mais comme une continuité logique. Il ne s’agit plus de faire sa mue dans la douleur mais de transformer votre vie professionnelle, à votre rythme et selon une technique aussi simple qu’efficace : celle des petits pas.
A ce propos, vous pouvez vous inspirer de l’excellent livre de James Clear « Un rien peut tout changer ». Il traite frontalement, dans le prolongement des travaux de Charles Duhigg sur le pouvoir des habitudes, des difficultés que nous avons à nous changer et s’intéresse à la façon dont nous pouvons y réussir. Il est donc bien au cœur de notre sujet.
La partie de son travail qui nous intéresse ici est celle qui a donné le titre à son livre. Son idée clé est la suivante : nous avons tendance à sous-estimer l’importance d’une petite progression régulière, quotidienne. A l’inverse, nous surestimons celle des grands changements qui sont perçus comme les seuls ayant un impact véritable sur nos vies. Cette approche du changement par “petits pas” est de nature à dédramatiser le chemin de notre réappropriation professionnelle en l’ancrant dans une approche modeste, régulière et cohérente. Elle évite aussi l’écueil d’une prise de risque trop grande et de son corollaire : celui de l’échec flagrant. C’est la philosophie des 1 % qui, en se cumulant et en allant dans la bonne direction, vont produire de grands effets en lien direct avec l’extension progressive de notre zone de confort.

  • Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, Poche, 2010.
  • James Clear, Un rien peut tout changer, Larousse, 2019.
  • Charles Duhigg, Le pouvoir des habitudes, Clés des champs, 2012. 

L’art de la niaque


L’art de la Niaque

Certaines lectures sont véritablement inspirantes. Celle de « L’art de la Niaque » d’Angela Duckworth l’est définitivement.
Angela Duckworth est une psychologue américaine qui a fait de nombreuses recherches pour identifier les caractéristiques de ceux qui réussissent. Elle s’est notamment rendue célèbre par ses questionnaires auprès des nouvelles recrues de l’académie militaire de West Point aux Etats-Unis. Pourquoi certains d’entre eux allaient craquer pendant la période “d’intégration” (épreuves physiques et forte pression mentale) et d’autres pas, voilà la question à laquelle elle a tenté de répondre de la manière la plus objective possible.
Ses conclusions : le succès vient de la niaque (de l’anglais “Grit” que l’on peut aussi traduire par ténacité) c’est -à -dire de l’énergie de la réussite.
Si nous nous sentons sans énergie et que nous pensons jamais y arriver, il faut commencer par recharger nos batteries et être convaincus qu’une partie de notre succès en dépend. Comme on le dit souvent, l’essence avant le sens.
L’image que j’utilise souvent en formation est celle qui fait un parallèle avec la conduite d’une voiture : si nous sommes déjà en 5ème vitesse non seulement nous n’avons aucune reprise mais il est sera difficile d’envisager prendre des petites routes de campagne en gardant cette même vitesse. Car alors il faut s’adapter au nouveau paysage traversé et profiter de ce qu’il a à nous offrir.

 

A. Duckworth, L’art de la Niaque, Poche, collection Psycho, 2017 et talk TED : https://www.ted.com/talks/angela_lee_duckworth_grit_the_power_of_passion_and_perseverance?language=fr