Elargir sa zone de confort


Elargir sa zone de confort

Perso, j’en ai un peu ma claque de cet impératif qui nous présente notre zone de confort comme devant être en permanence remise en cause. Il faut en « sortir » au risque de devenir un poids mort, un fainéant bref un looser.

Je pense quant à moi qu’il est possible d’affirmer que vivre dans une certaine forme de confort peut être positif et qu’il n’est pas nécessaire de vouloir systématiquement la détruire.
Au passage, nous pouvons d’ailleurs nous interroger sur les raisons qui assimilent systématiquement la zone de confort à quelque chose de négatif. N’est-elle vraiment qu’un périmètre d’habitudes, d’ennui et de monotonie ?
La conviction qui sous-tend cette approche est que, si rien d’extérieur n’arrive, l’individu va rester dans une sorte de pilotage automatique toxique. Il est alors assimilé à la grenouille qui risque à tout moment de mourir ébouillantée si, par malchance, un environnement moins favorable entraîne une montée progressive de la température de l’eau. La zone de confort est, de manière plus ou moins explicite, considérée à la fois comme potentiellement dangereuse et comme le refuge des réfractaires au changement. Un bunker à loosers en quelque sorte. En sortir demande des efforts, des remises en cause et génère naturellement son lot d’interrogations, d’angoisses et de stress. Le changement n’est pas naturel et se fait dans la souffrance puisqu’il arrache l’individu au doux cocon de son train-train quotidien.
Il faut alors le rassurer en lui parlant son langage : « Tu t’inquiètes à tort car finalement tu verras, tu finiras par adorer ton nouvel environnement ».
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, si on me parle ainsi, je flippe. Rien de plus anxiogène que d’être réassuré de la sorte, non ?
Alors, les professionnels du sujet ont trouvé la solution : ils débaptisent B qui n’est plus une « zone d’inconfort » (par opposition à A) et lui donnent des noms plus doux à nos oreilles comme zone de grandeur, zone de croissance voire “ zone où la magie opère”.
Il n’échappera à personne que les porteurs de ce discours sont ceux qui en tirent le plus de bénéfices. J’ai nommé bien sûr certains managers, membres de comités de direction et consultants internes ou externes. Sans leur engagement sans faille et leur leadership exceptionnel, c’est sûr, rien de nouveau et de positif ne saurait voir le jour.
Finalement, cela dit beaucoup de la représentation qu’ont les entreprises verticales de leurs salariés : une sorte de poids mort réfractaire au changement et toujours en retard d’une révolution organisationnelle. Il faut sans cesse les informer, les rassurer, les prendre par la main et ne pas hésiter, si nécessaire, à les menacer pour qu’enfin ils se mettent en mouvement !
Cette posture infantilisante évite en tout cas aux décideurs de se demander si les doutes ressentis par les personnes directement concernées ne sont pas légitimes et s’il n’aurait pas fallu les associer, en amont, plus étroitement aux décisions. Une perte de temps heureusement évitée puisque, de toute façon ils n’ont qu’une obsession : protéger leur zone de confort.

Ce que je veux dire ici c’est que cette approche ne favorise pas l’initiative, ni la prise de risque, car elle crée une culture où chacun est assigné à un rôle prédéfini, stéréotypé et, disons-le, médiocre.
Imbibés par cette culture qui, avant d’être celle de la plupart des organisations, irriguait peut-être aussi la structure familiale et le système éducatif, notre Tarzan doit, pour réussir, se détacher de cette double représentation : celle d’un être faible qui n’aspire qu’au confort et celle du héros courageux qui va affronter tous les périls pour se réinventer.

Et puis il doit aussi se réconcilier, et c’est notre deuxième point, avec sa zone de confort qui n’est aucunement un frein au changement mais qui, bien au contraire, peut en être une condition de succès. En effet de très nombreux travaux ont montré que ce périmètre que l’on maîtrise est essentiel pour explorer l’avenir. Les travaux de Boris Cyrulnik en particulier sont très éclairants à ce propos. Ils valorisent une notion connue sous le nom de “secure base”, une base de sécurité qui, en offrant des repères stables et en donnant confiance, va permettre d’explorer d’autres territoires. Elle est donc essentielle et, au lieu de freiner le changement va, bien au contraire, le rendre possible.

En vous appuyant sur vos points forts, vos succès et la maîtrise de votre environnement vous allez vous donner toutes les chances de succès.
Il vous faut maintenant adopter l’état d’esprit qui découle de cette double prise de conscience (ma zone de confort est un atout et il n’y aucune raison que je n’aime pas le changement) : aborder votre évolution non comme une rupture mais comme une continuité logique. Il ne s’agit plus de faire sa mue dans la douleur mais de transformer votre vie professionnelle, à votre rythme et selon une technique aussi simple qu’efficace : celle des petits pas.
A ce propos, vous pouvez vous inspirer de l’excellent livre de James Clear « Un rien peut tout changer ». Il traite frontalement, dans le prolongement des travaux de Charles Duhigg sur le pouvoir des habitudes, des difficultés que nous avons à nous changer et s’intéresse à la façon dont nous pouvons y réussir. Il est donc bien au cœur de notre sujet.
La partie de son travail qui nous intéresse ici est celle qui a donné le titre à son livre. Son idée clé est la suivante : nous avons tendance à sous-estimer l’importance d’une petite progression régulière, quotidienne. A l’inverse, nous surestimons celle des grands changements qui sont perçus comme les seuls ayant un impact véritable sur nos vies. Cette approche du changement par “petits pas” est de nature à dédramatiser le chemin de notre réappropriation professionnelle en l’ancrant dans une approche modeste, régulière et cohérente. Elle évite aussi l’écueil d’une prise de risque trop grande et de son corollaire : celui de l’échec flagrant. C’est la philosophie des 1 % qui, en se cumulant et en allant dans la bonne direction, vont produire de grands effets en lien direct avec l’extension progressive de notre zone de confort.

  • Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, Poche, 2010.
  • James Clear, Un rien peut tout changer, Larousse, 2019.
  • Charles Duhigg, Le pouvoir des habitudes, Clés des champs, 2012. 
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